Tout en s'inscrivant dans
le champ de la sociologie économique, ses membres privilégient, à travers
leurs études et travaux, une approche pluridisciplinaire des mutations
contemporaines. Leurs analyses, construites en lien avec les acteurs de la
société civile, contribuent à visibiliser une pluralité d'innovations
socio-économiques et à alimenter le débat public autour d'elles.
En interne, le CRIDA fonctionne sur le
principe d’une mutualisation du travail salarié et bénévole de ses membres
actifs (chercheurs contractuels, partenaires, statutaires, retraités) ainsi
que des financements issus des études et contrats de recherche. Outre
l’échange et la capitalisation de connaissance, cette
mutualisation permet d’assurer un cadre de travail stable à ses
chercheurs salariés ainsi que de leur dégager du temps pour
l'approfondissement de travaux de recherche, pour la contribution au débat
scientifique et public et pour la réalisation de thèses.
"Après avoir été pendant de longues années délégué général et au
moment de quitter mes responsabilités, je voudrais souligner ce qui fait
l’originalité des pratiques de recherche du CRIDA, en reprenant certains
des points qui sont développés dans le texte de Jean-François Marchat
disponible sur ce site (cliquez ici).
La première spécificité vient
de ce que J.F. Marchat désigne comme « engagement organisationnel » qui
engendre ce que l’on pourrait appeler des transversalités
expérientielles, sources de connaissance qui restent inaccessibles à
d’autres chercheurs parce que basées sur le partage d’un vécu. On
retrouve la trace des préconisations de la sociologie de l’école de
Chicago : comme il le rappelle, Becker n’aurait pas écrit « Outsiders »
sans avoir été musicien de jazz. En rappelant cela, il ne s’agit pas de
céder au mirage d’une observation participante placée sur un piédestal
méthodologique mais de reconnaître être interpellé par des questions
identiques à celles posées par les acteurs. De ce fait, contrairement à
l’intervention tourainienne ou institutionnelle qui prétendaient révéler
la vérité du social-historique aux acteurs, l’intervention est plus
modeste : elle consiste à participer au débat démocratique sur les
interprétations que l’on peut donner à des actions sociales. Pas de
panoptique dans une telle sociologie, mais la présence au monde de
sociologues qui sont des acteurs sociaux parmi d’autres, soucieux de
tenir leur place et de proposer leurs interprétations sans penser
qu’elles surplombent le social.
Sachant que ce qui était
insupportable à Weber était finalement « l’absence de démocratie au sein
du débat axiologique », il serait possible d’esquisser selon Caillé
« les contours d’un wébérianisme tempéré en un sens et radicalisé dans
un autre visant à organiser le débat normatif selon les règles d’un
débat démocratique plutôt qu’à le censurer ».
C’est pourquoi les
recherches du CRIDA incluent, en sus de la remise de documents
contractuels aux commanditaires, l’organisation de séances de
restitution aux acteurs. Par ailleurs, l’existence du CRIDA est scandée
par des « événements », c’est-à-dire par des espaces de débat public que
les chercheurs peuvent provoquer et dans lesquels ils essaient de
dégager les enseignements de plusieurs recherches, en dialogue avec
d’autres responsables publics et privés sollicités par les pratiques
dont il est question. Ce faisant, les chercheurs promeuvent l’auto-réflexivité
et la prise de parole de la part d’acteurs qui sont trop souvent privés
de parole légitime de l’espace public ; ils contribuent à doter les
pratiques « d’outils de représentation », à « contrebalancer » d’autres
positions et à agir sur les « asymétries » dans les systèmes de pouvoir
existants afin de « faire apparaître des liens, et ceci pour le compte
de certains acteurs » [Callon, 1999 : 76] ;. Leur travail n’aurait
toutefois que peu d’intérêt s’ils devenaient des pièces d’un dispositif
de justification de ces acteurs. Les recherches ont à garder une
capacité de perturbation, y compris pour les acteurs avec lesquels sont
indéniablement passées des alliances. Position fragile que celle
consistant à œuvrer pour « la mise en débat des différentes
représentations qui émergent » et à légitimer partiellement, car
l’intervention des chercheurs ne saurait y suffire », des « objets de
discussion politique » [Ibid. : 76]. Une mise en perspective entre ce
type d’intervention et les opérations de traduction et de convictions
propres à une communauté scientifique décrites par Latour [1989]
mériterait d’être commencée. Des convergences apparaissent quand on
s’efforce de rapporter des réalités locales aux classements existants,
de mettre en rapport des pratiques avec les modes d’intelligibilité
disponibles ; puis quand on constitue des regroupements au sein et en
dehors de l’institution scientifique pour se livrer à un travail
« d’intéressement ». De toute façon la résurgence de débats sur
l’engagement du sociologue, comme celui mené dans le dossier de
« Sociologie du travail » [1999] et les contributions sur l’intervention
sociologique [Uhalde, 2001 ; Vrancken, Kuty, 2001] incitent à poursuivre
sur ces thèmes."
Jean-Louis Laville
Paris, décembre 2005
Références bibliographiques
CALLON M., La sociologie peut-elle enrichir l’analyse
économique des externalités ? Essai sur la notion de débordement, in D.
Foray, J. Mairesse, Innovations et
performances. Approches interdisciplinaires, Paris, Éditions de
l’école des hautes études en sciences sociales, 1999.
LATOUR B., « L’histoire et la physique mêlées », in
M. Serres (dir.), Eléments
d’histoire des sciences, Paris, Bordas, 1989.
UHALDE M. (Dir.),
L’intervention sociologique en
entreprise, Paris, Desclée de Brouwer, 2001.
VRANCKEN D., KUTY O. (eds.),
La sociologie de l’intervention. Enjeux et perspectives, Bruxelles,
De Boeck Université, 2001.
En plus des recherches menées, le CRIDA réalise des études pour différentes institutions confrontées à ces questions et soucieuses de trouver des formes de diagnostic et d'évaluation adaptées à la complexité de leurs actions. Il s'agit avant tout de proposer aux acteurs des démarches participatives dont l'exigence est de produire une vision commune de l'action collective dans un contexte particulier. Ceci en créant les conditions d'un espace public ouvert à la discussion argumentée entre les différentes parties prenantes et les chercheurs.
Les réflexions
du CRIDA peuvent déboucher sur des expérimentations socio-économiques. Ainsi
celles menées entre 1984 et 1987 ont permis l’élaboration de principes
directeurs pour la mise en œuvre de services de proximité. L’ADSP (Agence
pour le développement des services de proximité) a été fondée en 1989 avec
des élus, des responsables du public et du privé ainsi que des acteurs du
développement local pour mettre en œuvre ces principes. Une expérimentation
a été menée de 1989 à 1992 sur 20 sites nationaux regroupant 40 projets.
Plus récemment, le CRIDA a travaillé en recherche action avec les réseaux d’élus et d’acteurs sur de nouvelles modalités d’action publique donnant lieu à plusieurs publications co-écrites, notamment :
-
Action publique et économie solidaire (2005, éditions Erès) comparant les
expériences françaises et brésiliennes ;
-
Avec les régions l’économie sociale et
solidaire en mouvement, réalisé avec
le Mouvement pour l’économie solidaire (MES);
-
Les politiques publiques d’économie
solidaire, un enjeu pour les initiatives locales, en partenariat avec le Réseau des territoires pour l’économie
solidaire (RTES).
Des coopérations sont développées depuis 1987 avec
plusieurs centres de recherche en Europe et en Amérique. En effet, l’ampleur
de la recomposition des rapports entre économique et social appelle une
ouverture internationale dans la réflexion et des échanges réguliers entre
partenaires ayant des orientations de recherche proches.
Le CRIDA est en membre fondateur du réseau Emergence des
entreprises sociales en Europe, EMES. Ce réseau européen vise à construire
un corpus de
connaissances théoriques et empiriques
sur l'entreprenariat social, l’économie sociale, l’économie solidaire et le
tiers secteur.
Plusieurs
membres du CRIDA ont participé activement à ses activités, notamment aux
recherches européennes sur l’entreprise sociale (EMES, PERSE) et la petite
enfance (TSFEPS).
L’organisation de la première conférence européenne ISTR-EMES à
Paris en avril 2005 a contribué à alimenter ce débat. Plus récemment, le CRIDA a co-organisé en juillet 2008 la
première université d’été EMES
en partenariat avec CINEFOGO et l’Université
de Corte
rassemblant 35 étudiants venant de 22
pays différents.